Épisode cévenol des 8 et 9 septembre 2002. |
Je suis resté environ 1h sur le parking, pour observer la situation mais j'en ai aussi profité pour faire une bonne pause durant laquelle j'ai essuyé un orage, faible activité électrique mais forte averse, avec de grosses gouttes histoire de se mettre dans le bain. Il est important de repérer la situation, de voir comment se passe les choses, surtout dans une région dont on ne connaît pas le climat. J'ai ensuite repris la route vers Nîmes. Il ne pleuvait quasiment plus mais le ciel restait couvert et l'ambiance était assez lourde. J'ai quitté l'autoroute à la prochaine sortie, celle de Remoulins. Avant cette sortie on traverse la garrigue sur une colline, ce qui permet d'avoir une bonne vue sur la région. J'ai donc décidé de remonter dans cette garrigue par les petites routes au nord-est de Remoulins dans le but de faire du repérage.
Vous pouvez, en cliquant ici, afficher une carte détaillée de la région, sur laquelle figurent quasiment tous les détails de la topographie (routes, chemins, reliefs, cours d'eau, végétation...), l'image fait 1 Mo. Malgré sa taille, il est conseillé de l'ouvrir pour la suite du dossier. (carte IGN Top 100)
Dans cette garrigue j'étais à un peu plus de 200m d'altitude. Quelques averses fortes mais très courtes se produisaient. J'avais une vue assez bonne vers les régions de Orange à l'Est et vers Nîmes - Uzès à l'ouest. Il faisait toujours aussi sombre. Mais vers la côte, on pouvait apercevoir un ciel bien plus clair. Je ne suis pas prêt d'oublier le défilement des nuages! En effet, la base de ces derniers était très basse, ils venaient de la mer et se dirigeaient tout droit vers les Cévennes où le ciel était très noir. Quelques éclairs lointains étaient visibles vers le nord mais aussi vers l'Est où l'activité semblait se renforcer. Les choses sérieuses semblaient commencer mais difficile pour moi de prendre une décision, les images satellite, de foudre etc. manquent cruellement pour savoir exactement ce qu'il se passait. En fait un système d'orages en V était en train de s'organiser mais ça, je ne le savais pas encore...
Voici une image satellite donnant la température du sommet des nuages prise à 15h48 TU (17h48) par un satellite de la NOAA:
Difficile de distinguer les frontières sur cette image, on peut cependant se repérer sur le sud-ouest de la France et le nord de l'Espagne avec les couleurs claires. Une boule rouge est présente sur le Languedoc, à partir de laquelle s'étend dans le sens du vent en altitude un vaste panache de nuages vers le nord-est, atteignant les Alpes. Ce système a la forme d'un V, d'où son nom. C'est à la pointe du V, donc sur le Gard à ce moment là, que les cellules orageuses se forment. Elles se propagent vers le haut du V puis se désagrègent alors que d'autres naissent à nouveau en permanence à la pointe, quasiment toujours au même endroit. Ces systèmes provoquent des quantités de précipitations conséquentes du fait de leur stationnarité. Pour favoriser la formation et la persistance de tels systèmes, il faut une convergence dans les basses couches de l'atmosphère (2 masses d'air se dirigeant vers un même endroit) ainsi qu'un soulèvement dû au relief. Pour que le phénomène dure, il faut une séparation distincte entre le courant ascendant et le courant descendant. C'est dans la zone de couleur rouge que se situe le courant ascendant principal, moteur du système. En général, un tel système "mange" tout ce qu'il y a autour de lui, c'est à dire qu'il aspire l'humidité présente, empêchant la formation d'autres orages dans un rayon proche. En effet les nuages bas que je voyais défiler à grande vitesse au dessus de ma tête dans la garrigue se faisaient aspirer tout droit vers le courant ascendant, impressionnant!. Dur parcours pour les particules d'eau condensées de passer de quelques centaines de mètres d'altitude à plus de 10000m en quelques minutes...
Après avoir bien observé ce qu'il se passait dans le ciel, j'ai décidé de me diriger vers l'Est, vers Orange. Pas question de me diriger vers le nord où le risque de crues éclair était trop grand au milieu de vallées plus encaissées. J'ai rattrapé la D976 puis traversé Rochefort du Gard. Je voyais droit devant moi un orage qui semblait de plus en plus violent avec de fréquents éclairs. C'était très sombre dans cette direction. A partir de ce moment, une vigilance maximale ainsi qu'un repérage des lieux s'imposaient! Je poursuivais ma route tout en étant conscient que je risquais de rencontrer des problèmes dans peu de temps...
Arrivé au carrefour de la D976 et de la N580, la luminosité a brusquement diminué, il faisait quasiment nuit à 19h environ! C'est alors que j'ai décidé de m'arrêter pour téléphoner à Christophe de Marseille pour avoir des précisions sur la situation. Alors que chez lui le soleil était visible, là où j'étais il se mettait à pleuvoir fortement et le tonnerre se faisait régulièrement entendre. Des éclairs tombaient même devant moi à quelques kilomètres voire moins. Christophe m'a détaillé la situation au niveau des images satellite, foudre et radar. Ses renseignements furent précieux. J'ai repris la route en direction d'Orange par la D976 toujours. Il pleuvait très fort, de grosses gouttes, les essuies glace à vitesse maximale n'arrivaient pas à évacuer l'eau du pare brise. Tout le monde roulait à faible vitesse. En observant autour de moi je me rendais compte que j'étais relativement bas en altitude et qu'il valait mieux tenter de remonter un peu. Les fossés commençaient à bien se remplir. Je longeais l'autoroute A9, elle était plus élevée que la route sur laquelle je me trouvais. Je me suis dit que j'aurai dû la prendre au carrefour précédent. Je décide de m'arrêter à nouveau sur un chemin en bord de route pour regarder la carte et prendre une décision. A ce moment là je me trouvais à quelques kilomètres de Roquemaure, au nord-ouest du hameau de Truel (voir carte). Il pleuvait toujours autant et les fossés débordaient sur la route. On a beau être passionné, arrivé à un certain stade cela devient angoissant! J'avais le choix entre 2 possibilités: poursuivre vers Roquemaure ou faire demi tour. Si je faisais demi tour, je devais repasser un ruisseau présent sur la carte, s'écoulant du bois de Clary vers Truel. Je venais de passer par là sans problème, mais avec la pluie qui persistait le risque aurait été trop grand cette fois-ci. Je décide donc d'aller vers Roquemaure pour tenter, à partir de là, de trouver une route plus élevée.
A l'entrée de Roquemaure, il faut passer sous un pont (voie ferrée visible sur la carte). Il y avait une cuvette à cet endroit, elle était pleine d'eau. Une voiture en sens inverse tente de passer sans problème apparemment. Je tente à mon tour, l'eau n'est pas loin du châssis. Je rentre alors dans Roquemaure, l'orage sévit toujours, avec une pluie battante et largement plus de 10 éclairs par minute. Je rappelle Christophe pour savoir si cet orage allait durer ou au contraire s'évacuer, tout en circulant dans les rues de la ville (merci le kit mains libres). Il m'informe que les cellules stationnent sur place, elles se régérèrent. Les radars indiquaient des intensités maximales avec plus de 200mm/h parfois. Avec ces orages stationnaires, je commençais à penser à un système en V et me disais alors que la situation ne pouvait qu'empirer. Le niveau d'eau montait et passait au dessus des trottoirs. Les habitant tentaient de colmater leur maison sans trop de succès. Il fallait absolument que je quitte cette ville ou au moins le quartier où je me trouvais sous peine de rester bloqué. Je tente de sortir vers Orange, impossible, il y a déjà trop d'eau. Je reviens sur mes pas, le niveau était encore plus haut, une vingtaine de centimètres peut être. Alors que j'étais toujours en communication avec Christophe pour lui donner des détails sur ce qu'il se passait, j'ouvre la vitre pour demander à un habitant: "ça monte souvent comme ça ici?" Réponse: "c'est pas la première fois mais là ça a l'air sérieux". Cette réponse est inquiétante et confirme le fait que la situation devenait exceptionnelle. Il ne s'agissait pas d'un orage isolé, tout autour de moi le ciel était noir et parsemé d'éclairs, aucune amélioration n'était en vue. La pluie battante perdurait. Je demande alors à cette personne: "je cherche un point élevé, où est ce que je peux aller?" Il me répond de prendre une rue toute proche. Je l'écoute et reprends ma route dans l'espoir de trouver un endroit moins dangereux, l'eau continuait de monter et cela devenait vraiment inquiétant! La route indiquée par ce monsieur monte légèrement, ouf soulagement, les roues sortent enfin de l'eau au bout de quelques dizaines de mètres.
En cliquant ici vous pourrez consulter les détails de la rubrique situation d'Infoclimat/MétéoCentre pour le dimanche 8. On remarque qu'en gros à partir de 19h30 19h45 des messages annonçaient une situation délicate... Cette rubrique temps réel est souvent très utile, ce sont les internautes qui y reportent leurs observations, complétées par les stations météo; ce site est à mettre dans vos favoris!
Je m'arrête de nouveau pour regarder la carte. Je n'en étais pas sûr, mais apparemment j'étais dans la direction d'Avignon, sur la D980. Je doutais alors de pouvoir aller bien loin, un ruisseau étant présent à la sortie de la ville et un autre plus loin avant Sauveterre (visibles sur la carte), ils devaient certainement déborder. Je tente d'avancer pour voir si c'était possible de se diriger dans cette direction. Un panneau "Avignon" confirme que je suis bien là où je pensais. Je ne parcours même pas 200m que la route est à nouveau inondée. Je vois des voitures au loin qui tentaient de venir dans ma direction mais sans succès. Une était même au milieu de l'eau, noyée jusqu'aux phares. Impossible d'aller par là donc. Je fais demi tour pour revenir à l'endroit le plus élevé qui n'était pas inondé. Il y avait 2-3 petites rues perpendiculaires à la mienne, elles étaient inondées. J'ai tenté de retourné de là où j'étais arrivé, impossible il y avait désormais trop d'eau. Il pleuvait toujours et le niveau montait encore! Je dois une fière chandelle à ce monsieur qui m'a dit d'aller dans cette rue, si j'étais resté sur place la voiture y serait passée.
Me voila donc bloqué dans Roquemaure. D'autres automobilistes se trouvaient dans ce quartier. Certains ont quitté par peur leur voiture. Ainsi je me souviens d'une fille qui est parti en pleurant de sa voiture, en laissant tout en marche: moteur, essuies glace, phares... Des gens courraient, affolés. Quant à moi je restais au milieu de la route, les roues au sec. Mais je n'étais pas totalement rassuré, il n'y avait pas beaucoup de marge, même pas 50cm en hauteur entre l'eau et l'endroit où j'étais. Sur la carte je regardais le relief présent autour de Roquemaure, pas de vallée encaissée aux alentours, c'est plutôt plat avec plusieurs ruisseaux. Une colline présente à l'ouest (montagne Ste Genies) m'inquiétait un peu, la pluie ruisselait sur son versant sud pour se diriger ensuite vers ma zone. Le Rhône était très proche mais ne m'inquiétait pas. J'avais plus peur pour la voiture que pour moi. Je ne craignais pas de vague c'était loin d'être le cas vous le verrez dans d'autres zones), si l'eau venait à noyer la voiture, je pouvais sortir et me réfugier chez des habitants, certains, très sympathiques, m'ont proposé de venir si je voulais. Une personne m'a affirmé n'avoir jamais vu autant d'eau dans sa ville et m'a dit que la sortie vers Avignon est habituellement la plus praticable en cas de montée des eaux.
20 heures passées, il pleuvait toujours aussi fort, et le niveau continuait de monter. La foudre tombait parfois à quelques dizaines de mètres, provoquant un tonnerre assourdissant. L'activité électrique était impressionnante, par moment il y avait 1 éclair toutes les secondes. Des coupures de courant se produisaient. J'étais venu entre autre pour faire de la photo d'éclairs, j'en ai fait aucune durant cette chasse. La pluie et les lumières de la ville empêchant la prise de vue.
Voici une image satellite prise ce dimanche à 18h TU (20h), source: www.sat.dundee.ac.uk:
On voit que l'orage en V est toujours présent et n'a pas bougé. Le panache est très évasé, ce n'est pas toujours le cas avec de tels systèmes. Un panache évasé est signe que le vent en altitude n'est pas très puissant.
Voici maintenant la carte des impacts de foudre pour la journée du 8, de 00h à 23h TU:
Plus les ronds sont gros, plus l'intensité est importante. Dans un orage en V, c'est vers la pointe que les éclairs sont les plus nombreux, ils peuvent se produire de façon ininterrompue. Il s'agit en majorité d'éclairs intra nuageux, on ne voit alors que des flashs dans le ciel. Mais il y a également quelques coups de foudre au sol.
Retour à Roquemaure: de nombreuses voitures, appartenant à des habitants de la ville, se sont faites noyées à quelques mètres seulement de là où j'étais. J'ai été étonné du comportement des gens. Ils ne sont pas sortis pour voir si leur voiture était encore au sec, ce n'est que quelques heures après qu'ils ont vu qu'il était trop tard.
J'ai passé la soirée dans ce quartier, face à l'eau qui montait encore, j'ai mis la voiture sur le trottoir, je ne pouvais pas aller plus haut. J'étais alors entre deux gros arbres et je craignais que la foudre ne leur tombe dessus, heureusement ce n'est pas arrivé. J'ai passé plusieurs appels à Christophe, JM de Peypin et David de Nîmes. Ils m'ont confirmé que l'orage en V stationnait et qu'il n'était pas prévu d'amélioration au pied des Cévennes durant la nuit. Vers 23h il y a enfin eu une accalmie dans ma zone. J'ai pu sortir filmer un peu et discuter avec des gens. Puis l'orage a repris de plus belle, jusqu'à minuit. A partir de cette heure là on pouvait être soulagé à Roquemaure. Il n'en était pas de même plus au nord-ouest où des éclairs incessants étaient toujours visibles. L'eau ne montait plus, elle aura tout de même atteint les roues de ma voiture (la bleue-verte ci-dessous) au plus haut.
En discutant avec un riverain celui-ci m'a dit avec le sourire "toi tu as une place en or, si tu bouges je la prends". Je ne connaissais pas la région et il semble que j'ai été assez prudent par rapport aux habitants.
Mathieu Barbery
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